Découvrez le cinquième texte proposé par l’auteure Julia Deck dans le cadre du projet participatif : Journal de sortie.

Jour 40, samedi 25 avril 2020. Château Rouge – Avenue de France

C’est aujourd’hui l’officielle quarantaine, quarante jours de détention des personnes saines, en apparence, le sont-elles toujours, c’est à voir. Aujourd’hui je porte assistance à une personne vulnérable, c’est-à-dire qu’une personne vulnérable me porte assistance en m’offrant l’occasion de sortir de mon kilomètre.

Est-ce moi, l’atmosphère orageuse, les types louches aux abords de l’hôpital Lariboisière (les soignants sont maintenant escortés jusqu’au métro par des agents de sécurité), la présence écrasante des compagnies républicaines de sécurité – en longeant l’entrée massive de la gare du Nord, sur l’esplanade habituellement grouillante de monde, désormais peuplée de silhouettes carbonisées sous le soleil noir, l’air me manque. Je dois me rapprocher des bords, où l’on risque moins de tomber. Mais ces bords sont gardés par de très jeunes militaires en tenue camouflage, porteurs de mitraillettes dont ils n’ont sans doute pas eu le temps d’apprendre à se servir correctement, encore qu’il n’est peut-être pas si difficile de se servir d’une mitraillette, les tirs sont approximatifs par nature. La plupart des portes d’accès aux transports urbains sont fermées. Il faut emprunter un mince cordon délimité par des bandes de scotch rouge et blanc, donc passer très près des jeunes militaires à mitraillette. Je me retrouve quasi seule dans l’immense hall de la gare. Le plus vite possible, je descends dans le labyrinthe par lequel on accède au souterrain. Les couloirs déserts me rassurent enfin – l’inexorable familiarité du métro, sans doute.

 

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