En avril, Le Grand R vit au rythme des créations de Jade Herbulot et Julie Bertin du Birgit Ensemble, artistes associées.

Un théâtre « documenté » et libre

Difficile de reconnaître le grand plateau de la salle Jacques Auxiette du Manège ce vendredi 7 avril après-midi. Sur scène, un véritable décor de cabaret a pris forme. Au milieu des dizaines de tables qui accueilleront le soir même 200 spectateurs, les artistes du Birgit Ensemble s’activent. Ils débutent les répétitions de leur Birgit Kabarett sous le regard d’un groupe d’élèves du cycle 3 du Conservatoire de La Roche-sur-Yon venus assistés à ces préparatifs. Les mêmes avaient participé à un week-end de stage animé par Jade Herbulot en mars dernier. Un stage organisé en partenariat avec Le Grand R à la découverte de la démarche théâtrale si unique du collectif. Leur Birgit Kabarett en est un exemple. À 20h30, le public s’installe autour d’un verre et des tables dressées sur le plateau pour 2 heures de ce cabaret festif, interactif et insolent. Un théâtre documenté et libre qui prend ici la forme d’un café-concert qui s’inscrit autant dans la tradition brechtienne que dans la liberté de ton des humoristes politiques d’aujourd’hui. Un savant dosage de provocation, de lucidité et de fantaisie qui réussit à nous rassembler par le rire autour de ce qui peut nous diviser.

Un théâtre entre réalité et fiction

Le Birgit Kabarett n’est que l’un des rendez-vous proposés par Le Grand R avec Le Birgit Ensemble en ce mois d’avril. Quelques jours plus tôt, c’est leur pièce Roman(s) national qui a été présentée deux 2 fois au Manège. Une pièce dont l’écriture a débuté en 2019 et créée en 2020. Reportée à cause des restrictions sanitaires, elle a enfin pu être présentée au public du Grand R. Une pièce qui s’inscrit dans un cycle consacré à la Ve République française. Une pièce très actuelle à la croisée entre la fiction politique et le fantastique. Un véritable thriller qui nous plonge dans un futur plus ou moins proche, peut-être dans un monde parallèle : les 10 derniers jours de campagne présidentielle d’un parti politique français. Dans l’un des grands salons Art déco du Musée de l’Homme, récemment privatisé par le parti, le candidat Paul Chazelle réunit autour de lui une équipe talentueuse de jeunes gens ambitieux et experts. Ils sont prêts à tout pour que leur candidat remporte la bataille… Un spectacle qui alterne, d’une part, des séquences oniriques et fantasmagoriques lorsque les fantômes de nos passés coloniaux remontent à la surface et viennent hanter un candidat qui perd de plus en plus pied avec la réalité et, d’autre part, des séquences réalistes et acerbes sur la réalité d’une campagne électorale d’aujourd’hui.

© Simon Gosselin

La plume tranchante de Jade Herbulot et Julie Bertin et l’énergie communicative de leur troupe de comédiennes et de comédiens transparaissent à nouveau dans cette pièce qui mêle les genres et brise les codes pour poser les bases d’une réflexion sur notre république, ses zones d’ombres, son passé, son avenir. Un théâtre polymorphe qui questionne l’articulation entre les mémoires individuelles et collectives et leur résonance aujourd’hui. Une démarche que l’on retrouvera dans leur prochaine création : Les Suppliques.

Les Suppliques, une future pièce en résidence de création

Du 17 au 29 avril, Le Grand R accueillera l’équipe pour une résidence de création. Les premières nationales auront lieu en novembre 2023 au Grand R.
Les Suppliques désignent des lettres envoyées pendant la Seconde Guerre Mondiale par les membres de familles juives, françaises ou étrangères, à l’administration du régime de Vichy dans l’espoir que leur requête soit entendue, lettres découvertes par l’historien Laurent Joly.
Ces milliers de lettres constituent un matériau exceptionnel justifiant le déploiement d’une série d’œuvres et de mises en formes afin de les faire découvrir au plus grand nombre.

C’est dans ce contexte que s’inscrit cette création, faisant partie d’une constellation de projets (film documentaire, œuvre numérique, œuvre radiophonique et création théâtrale) à l’initiative de La Générale de Production, société de production audiovisuelle, en partenariat avec France Télévisions et France Culture. Les lettres constitueront le point de départ de cette fiction.

Chaque lettre renferme des fragments de vie que nous chercherons à convoquer sur scène, en imaginant le hors-champ fictionnel de ces suppliques. Qu’est ce qui a précédé et entouré la rédaction de la lettre ? Chaque écrit révèle une personnalité singulière tout en rendant compte concrètement et plus largement des persécutions dont les juifs ont été victimes sous Vichy. Comment porter les voix de ces centaines de Français, anonymes, oubliés et délaissés par le gouvernement de Vichy ? Comment les incarner ? Quelle place donner au destinataire de toutes ces lettres : l’administration française ? Enfin, comment rendre compte du contexte historique et politique qui est celui de l’Occupation allemande durant la guerre de 39-45 puisqu’il détermine bien entendu l’écriture de ces missives ? Jade Herbulot et Julie Bertin

Sur scène Salomé Ayache, Marie Bunel, Pascal Cesari et Gilles Privat donneront vie à ces lettres sous le regard du grand historien Laurent Joly. Le chorégraphe Thierry Thieû Niang participera à l’aventure en y intégrant un « geste dansé » pour donner à voir autrement l’intime, pour le raconter quand les mots ne suffisent plus.

À VOS AGENDAS : RÉPÉTITIONS OUVERTES À TOUS LES SUPPLIQUES
Où ? Comment ?
Jeu. 27 avr. | 18h
Le Manège, Salle Jacques-Auxiette
Gratuit – Réservation conseillée


« Que je meure en homme et pas en chien » : Léon Kacenelenbogen a écrit deux lettres au maréchal Pétain. Survivant des camps, il a vécu jusqu’à 98 ans. Léon Kacenelenbogen/Archives nationales

Le Birgit Ensemble

Julie Bertin et Jade Herbulot sont artistes associées au Grand R depuis 2022. Elles fondent en 2014 Le Birgit Ensemble, à la suite de la présentation en 2013 au Conservatoire national supérieur d’art dramatique de leur premier projet, Berliner Mauer : vestiges. Suivront Pour un prélude en 2015 puis Memories of Sarajevo et Dans les ruines d’Athènes créés au Festival d’Avignon 2017 avec lesquels se clôt leur tétralogie intitulée Europe, mon amour autour du passage du XXe au XXIe siècle. Toujours dans une démarche d’écriture de plateau et de recherche sur l’Histoire récente, elles présentent Entrée libre (l’Odéon est ouvert) au CNSAD en avril 2018 – spectacle qui inaugure un nouveau cycle consacré à la Ve République française qu’elles poursuivent à la Comédie-Française avec Les Oubliés (Alger-Paris) et qu’elles prolongent en 2021 avec Roman(s) national et Douce France.